Visite de la Brasserie Mosaïque à Riotord
Visite de la Brasserie Mosaïque à Riotord (Haute-Loire)
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Si le nombre de vignerons qui s’installent en Auvergne est en pleine explosion, il en va de même pour les brasseries artisanales. Parmi celles-ci, une à particulièrement retenu mon attention : la Brasserie Mosaïque, créée début 2022 par Or Zagury, à Riotord, pour sa démarche locale et naturelle, pour sa philosophie et ses convictions, tout autant que pour la qualité de ses produits.
Rencontrer Or et sa brasserie c’est une expérience qui ne peut vous laisser indifférent, une expérience percutante dont vous ne sortez pas indemne, qui vous fait réfléchir sur la place de l’homme dans la nature et son rapport au temps, qui remet en question tout ce en quoi vous croyiez et qui bouleverse votre existence.
Dans son passé, Or a beaucoup voyagé, il connait les plantes, les fruits, les animaux, les montagnes et les rivières, dans de nombreux pays. Il a beaucoup expérimenté aussi, « J’ai fait fermenter tout ce que je pouvais » me dit-il. Il a été équithérapeute, mais aussi conseiller en œnologie et viticulture pour un grand groupe d’importation de vin. Son rôle était de dénicher de petits domaines travaillant plus « proprement », mais aussi de guider les domaines déjà partenaires vers une viticulture durable ainsi que de les aider dans leur gestion des fermentations en levures indigènes. Mais le monde du vin ne lui permettait pas d’aller jusqu’au bout du « naturel », il a donc été le chercher dans la bière de fermentation spontanée.
« La nature est circulaire, la vigne est rectiligne ! » me dit-il, ou plutôt elle est devenue culturelle, au sens où elle est transformée par l’homme. Le « nature » ce n’est pas une question de sulfites/pas sulfites, c’est d’abord une question de viticulture. Lorsque l’on plante un pied tous les mètres en suivant une ligne tracée au laser, on est déjà sorti du naturel. Si en plus on lui coupe la tête tous les ans, si on le greffe, car c’est un pied sujet à maladie qui va donc nécessiter de nombreux traitements chimiques (au mieux soufre et cuivre) et qui a une espérance de vie relativement limitée, peut-on encore parler de « vin naturel » ?
L’objectif ultime de Brasserie Mosaïque est justement d’être au plus proche du « nature », tout en ayant la plus basse consommation possible en électricité et en eau.
Tout commence ici, à plus de 1000m d’altitude, en Haute-Loire, même si l’Ardèche n’est pas très loin. Si Or a choisi cette montagne, c’est pour sa source d’eau, non traitée, et possédant un ph bas, un peu en-dessous de 6, l’idéal pour brasser.
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La visite de la Brasserie Mosaïque se poursuit par les composts, point de départ (ou point d’arrivée ?) du cycle naturel. Ici, il n’y a pas de déchets.
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Ensuite, place aux levures. Celles-ci sont ramassées à côté de la brasserie, sur des troncs d’arbre, des fleurs, des fruits, etc… Ce sont de très vieilles variétés de levure, qui assurent des fermentations parfaites. Elles sont ensuite développées et si le résultat est satisfaisant, multipliées et stockées au frigo, parfois plusieurs années. C'est ensuite "au feeling" que Or choisit ses levures pour chaque batch, mais il commence à voir un peu mieux désormais ce que chaque type de levure peut apporter. "C'est avant tout une question de saison" me dit-il. Les levures dépendent notamment des populations d'insectes, ce ne sont pas les mêmes au printemps qu'à l'automne, il y a clairement une saisonnalité, facteur clé de ses bières.
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Tout est bio : les malts proviennent de Malt'in Pott dans le Rhône-Alpes et les houblons du paysan allemand Eissmann. Cependant, des houblons viennent d'être plantées près de la rivière à côté de la Brasserie : on devrait être sur du 100% local à partir de 2027.
La dégustation
Bière vermentino, mirabelle... sur cuve inox : beaucoup de fruit, vif, entre prune et abricot, déjà très bon.
Bière avec des pinots noirs de Daniel Sage sur amphore : là aussi déjà très bon, plus vineuse, beaucoup de peps.
Bière 10 types de malt, fruits rouges, fleurs de fenouil sur céramique : celle-ci est vraiment dingue, rooibos, caramel, sucre brun, fenouil au nez. Bouche plus sèche, anisée, fruits rouges, thé, va permettre de très beaux accords à table.
Les 3 bières sont en cours de première fermentation, avec un peu de gaz donc. Contrairement au vin où il est difficile de goûter pendant la fermentation alcoolique, ici tout est délicieux et semble déjà bon à être embouteillé ! Bien sûr, tout sera embouteillé avec juste un peu de sucre pour la seconde fermentation en bouteille (ou plus rarement la 1e fermentation peut se finir en bouteille).
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On peut trouver divers contenants, notamment des amphores en terre cuite de Ligurie et des œufs en céramique de chez Clayver, les mêmes que chez Arnoux-Lachaux par exemple. Le brassage des lies prend ici tout son sens, tant elles sont nombreuses et jouent un rôle primordial.
En bouteille (quasiment tout est sur une base de 2023)
Toutes les bières gagnent à être ouvertes à l’avance. Elles ont toutes une excellente tenue à l’air sur plusieurs jours sans aucun risque de déviance. Et toutes gagnent à vieillir quelques années supplémentaires en cave.
Ce sont principalement des bases 2023, avec des élevages de 2à8 mois + plusieurs mois en bouteille avant commercialisation. Dans l’idéal, Or aimerait prolonger encore plus le temps de vieillissement « sur lattes ». Un des problèmes du vin naturel est de commercialiser trop tôt. Pierre Overnoy le disait, "pour faire du nature, il faut du temps". Il faut laisser travailler les levures, puis les lies. On ne peut pas accélérer le temps de la nature sans chimie.
Toutes les bières sont sèches, contrairement à la plupart des bières qui contiennent 5-10 grammes de SR. L’effervescence est légèrement moins forte que dans la majorité des bières, par contre elle ne faiblit pas avec les années en bouteille. Aucune bière ne dépasse les 3% d’alcool, pour garder un milieu entièrement levurien et non bactérien, ce qui évite toute déviance bactérienne type souris etc… Bien qu’à 3%, les bières sont étonnantes de densité grâce au travail des lies, ce qui renforce aussi la saveur umami des finales, salivantes et appétentes. Elles ne manquent jamais de peps grâce à leur acidité élevée, avec parfois une petite touche aigre (comme une sorte de volatile) mais qui reste toujours bien intégrée dans le fond. Elles sont du coup très digestes. Bien sûr, aucune filtration ni pasteurisation.
La gamme "classique"
Into the Wild : (malt d'orge, malt de blé et flocons de 5 céréales. Houblons allemands. Levures de raisins, pruniers, groseille et tronc de chêne. 2 mois de fermentation + 2 mois de fermentation en bouteille. Elevage dame-jeanne, fût de chêne, fût de châtaignier, amphore en grès) Couleur or, à prendre comme une porte d'entrée de la gamme, avec un travail "presque uniquement" sur les levures, pour voir ce qu'elles apportent. Bière légère, un peu maigre peut-être par rapport au reste de la gamme, mais fraîche, citronnée, avec une belle acidité, plutôt une bière de soif, pour l'été, ou pour accompagner des légumes crus. Après 24-48h d’ouverture elle gagne en fruité et en gourmandise sans perdre en vivacité.
Life is like a box of chocolate, you never knox what you're gonna get : (malts, avoine, seigle, houblons. Levures sur fleurs de pêcher, groseille maquereau, tronc de bouleau. 2 mois de fermentation en terre cuite et fût de chêne + 2 mois en bouteille) Couleur brun-orange, nez un peu plus "mûr", sur l'orange, les agrumes confits, le côté céréales est un peu moins marqué. Bouche avec beaucoup de peps et de fraîcheur, petite touche "sour", sur l'orange confite, notes caramélisées, avec plus de corps et de longueur que la précédente, quelques jolis amers en finale.
Knockin’ on heaven’s door : (10 types de malts + macération à froid de 2 malts torréfiés, houblons. Levures sur fleur de griottes, fleur de prunier, groseille à maquereau verte. 2 mois de fermentation en terre cuite et fût de chêne + 2 mois de fermentation en bouteille) Couleur plus ambrée, nez où l'on sent le côté torréfié, caramélisé, rooibos. Bouche sur le café, le chocolat, avec plus de corps, mais sans lourdeur, rien à voir avec un stout, beaucoup d'acidité ici, même s'il y en a probablement moins que dans la précédente, avec l'ouverture les agrumes ressortent. Plus hivernale, elle appelle la table (balsamique, plats avec sauce soja, sirop d'érable... un peu les mêmes accords qu'avec un madère sec).
Et la gamme plus "expérimentale"
Ready or not here I come You can’t hide : (malts, avoine, pommes, coing, houblons. Levures de marc de roussanne, viognier. 6 mois de fermentation et de macération avec les fruits en fûts et inox + 4 mois en bouteilles) Influence des fruits pas trop marquée ici, bière qui semble avoir moins d'acidité que les précédentes, base qui semble un peu plus torréfiée, un style où on sent la rondeur de la roussanne, peut-être plus facile d’accès, moins percutant.
It’s something unpredictable but in the end It’s right : (sarrasin, houblon, cerise. Sans gluten. Levures sur lies de baco, gamay, grenache, syrah. 3 mois de fermentation et de macération avec les cerises et les lies en grès, dame-jeanne et fût de chêne + 4 mois de fermentation en bouteille) Couleur brune, nez très marqué par le sarrasin, très céréalier, avec un côté toasté et torréfié aussi, cerise confite. Comme souvent chez Mosaïque, si le nez est plutôt gourmand, la bouche surprend par sa vivacité et sa sécheresse, ce qui renforce le côté percutant, toujours sur le sarrazin avec quelques amers et des cerises griottes. Là aussi, à mettre à table.
Lemon Tree Ancienne version : (malt, avoine, pomme, coing, safran, fleurs de sauge ananas, houblons, lies de viognier et pinot blanc. Elevage en fût de chenin. 6 mois de fermentation et macération avec les fruits et les plantes + 4 mois en bouteille) Couleur or, nez fruité, très abricot, pêche, épices. Bouche très vive, punchy, fraîche, désaltérante, avec une grosse longueur salivante.
Lemon Tree version coing : (petit changement de recette sur ce nouveau batch avec beaucoup plus de coing) La couleur est bien plus sombre, le nez moins punchy-agrumes, mais plus mûr, pâte de coing, rooibos, caramel. Bouche bien sèche, un peu moins punchy que l'ancienne version, plus marquée fruits confits, plus hivernale.
Country road takes me home : (malts, houblons et cépages hybrides non déterminées. Levures des raisins hybrides. Macération carbonique de grappe entière pendant 3 jours. 8 mois de fermentation et macération en grès + 3 mois de fermentation en bouteille) Une version un peu plus facile d'accès que celle de l'an dernier qui était plus punchy et un peu plus aigre, plus vineuse aussi, celle-ci semble un peu plus sage en l'état, mais à voir dans un an... Son caractère vineux plus marqué que sur les autres devraient permettre des accords différents.
Down to the River (rivière) : (malts, houblons + 70 fruits et plantes de bord de rivière. Levures sur fleurs de griottiers et prunes vertes. 6 mois fermentation et macération en fût + 4 mois en bouteille) Couleur qui tire sur le marron, très beau nez, expressif et complexe, plein de mélisse, cannelle, plantes de Montagne (évoque une rivière en altitude), menthol, miel. Bouche avec beaucoup de peps et une très jolie texture, très dense et intense pour 3%, beaucoup de longueur, acidulée, plus sur la fraîcheur des plantes, que l’attaque qui est plus miellée. Grandiose ! La version "Montagne" bue il y a quelques mois était beaucoup plus marquée chartreuse, origan etc... avec les mêmes qualités de bouche. Le comparatif s'annonce exceptionnel dans quelques années !
Cherry blossom girl : (levures de fleurs de griottes. Divers malts et houblons. Cuve de moût de bière en refroidissement sous le griottier en face de la brasserie pendant 24h. 1e fermentation en fût de chenin d’Anjou pendant 8 mois + 2 mois de fermentation en bouteille) Couleur blonde, nez très floral et céréalier, plus "neutre" que River. Superbe bouche avec une sorte de rondeur miellée à l'attaque, cire, fleurs, puis l'acidité arrive en fin de bouche pour étirer la finale avec beaucoup d'umami.
Cidre 2024 : (4 variétés de pomme. Vieilli en fût de pinot noir d’Henri Chauvet) Couleur rose foncé un peu fluo et trouble en l’état, nez étrange de bonbon, voire malabar, on s’attend à du sucre. La bouche est sèche, percutante, amère, très légère en alcool aussi. Déroutant.
Hydromel : (avec des lies de vin, en cours de fermentation) c'est le seul qui ne se goûte pas très bien en l'état, un hydromel à 2%, mais c'est normal sur du miel me dit Or, il faut toujours beaucoup plus de temps pour que ça fermente, il faut juste être patient.
Un essai est en cours de fermentation de riz en collaboration avec des brasseurs de saké japonais !
Attention qu’ici chaque batch est unique, en fonction des levures, des plantes ou des fruits disponibles. Il est donc tout à fait possible de tomber sur une version différente ayant pourtant la même étiquette ! Il est impossible de demander à la nature d’être identique, elle est en perpétuelle mouvement.
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Etiquettes par Moshe Kassirer, certifiés éco-responsables, comme les bouteilles.
Et si Or avait tout compris, s’il avait trouvé le moyen d’obtenir tous les avantages du vin naturel sans les défauts potentiels ? Ou est-ce un tort de ma part de vouloir comparer ce monde des fermentations spontanées à l’univers du vin. Me voilà complètement déboussolé. Dans quelques heures je dois reprendre les dégustations, et je me demande bien comment est-ce que je vais pouvoir faire après cette rencontre si enrichissante…