Visite au domaine Les Grands Pans à Saint-Sandoux
Visite au domaine Les Grands Pans à Saint-Sandoux
Corinne et Jean-Marie Bonny, passionnés de vin depuis longtemps, ont réalisé leur rêve : devenir vigneron. Ne trouvant pas de parcelle idéale à reprendre, ils ont fini par planter eux-mêmes des vignes ; un choix qui demande beaucoup de temps, d’argent et d’énergie mais c’était le seul moyen d’obtenir le résultat dont ils avaient toujours rêvé.
En 2017, la mairie de Saint-Sandoux leur propose une parcelle en friche depuis au moins la seconde guerre mondiale, d’un peu plus d’1 hectare, à Saint-Sandoux, de l’autre côté de l’autoroute, face à Veyre-Monton et à Corent, juste au-dessus de la parcelle de blanc de leurs amis de l’Arbre Blanc.
Le travail a été colossal entre le défrichage, le nettoyage, l'amendement, l'engrais vert, le labour, les plantations. Détails et photos sur le site du domaine https://grandspans.fr/notre-histoire/
En 2019 la parcelle est enfin plantée, 5500 plants (dans l’idéal 6000 bouteilles les années où tout ira bien) 2/3 de pinot noir sur la gauche, 1/3 savagnin sur la droite. Jean-Marie est un grand amateur de vins du Jura, des vins jaunes mais pas uniquement. Les sols argilo-calcaires ici sont adéquats pour le savagnin, le climat aussi, et ça peut être une bonne réponse au manque d’acidité des derniers millésimes. Comme il y a beaucoup de calcaire actif, la vigne a été greffée sur fercal. Les pinots sont des massales avec une grande diversité génétique, idem pour les savagnins sélectionnés chez le pépiniériste Guillaume dans le Jura. Tout est taillé guyot-poussard.
D'après le site du domaine : « La taille Guyot-Poussard que nous tentons de mettre en place est une forme de taille douce. Les coupes annuelles doivent être ordonnées de telle sorte que les plaies de taille aient des surfaces réduites et soient situées sur la face supérieure des rameaux. En dehors de cette zone, le bois est sain et sans plaie. La sève circule alors librement. En outre, deux bras sont construits, la baguette portant les fruits est ainsi alternée chaque année. Chaque plant étant différent, cette taille est très chronophage, mais passionnante. Heureusement, Caroline du domaine de l’arbre blanc nous conseille et nous corrige patiemment. L’ambition est évidemment de mettre en place une vigne vigoureuse et de limiter le dépérissement des pieds. »
La parcelle est très pentue, exposée sud très légèrement à l’est, solaire, très lumineuse le matin, protégée des vents d’Ouest. Ici, il n’a pas gelé en 2024 contrairement à tout le sud de Clermont, probablement grâce à ce soleil très matinal, peut-être aussi grâce aux haies et au fait de ne pas être trop bas dans la plaine. L’autre avantage ici c’est que la pression des maladies fongiques est faible, il y a peu de vignes autour, pour le moment 2 à 3 traitements par an suffisent.
Le travail à la vigne est bio, certifié. Jean-Marie est un passionné de biodiversité : il y a des haies tout autour, des composts sont réalisés en bas de la parcelle, les couverts végétaux sont déjà magnifiques après 4ans, avec beaucoup d’avoine, des coquelicots… Pas de labour, piochage de l’intercep. La vigne est palissée très haute pour avoir à la fois de la photosynthèse et le maximum d’ombre. Ebourgeonnage sévère sur ces jeunes vignes. Le savagnin se comporte très bien pour le moment, « il cherche toujours à monter, il est plus simple à gérer que le pinot qui a toujours besoin d’être redressé lui ». D’ailleurs tous les manquants sont replantés en savagnin, Jean-Marie regrette presque de ne pas en avoir planté un peu plus…
La Cave
Direction Veyre-Monton, dans le garage pour le moment. Mais un bâtiment est en construction à Saint-Sandoux pour l’avenir.
L’hygiène est parfaite, Jean-Marie y accorde beaucoup d’importance, nécessaire lorsqu’on travaille en nature.
Les raisins rentrent très tôt des vendanges, c’est l’avantage de travailler sur une petite surface. Sur une année chaude comme 2023, tout était rentré à 10h. Peu de vignerons peuvent se le permettre. C’est pour cette raison que le domaine n’a pas vraiment prévu de s’agrandir…
Tout passe dans le petit pressoir vertical, « c’est pratique parce qu’on voit ce qu’on fait, et parce que les jus traversent les rafles, ils sont en quelque sorte filtrés ».
Il y a ensuite un inertage dans la carboglace et tout part dans des cuves inox. Les blancs sont sur lies, il n’y a pas de bourbes en sortie de pressoir pour le moment.
Les rouges sont travaillés grappe entière, une sorte de semi-carbo avec une macération préfermentaire. Les jus de goutte vont dans une cuve et les jus de presse dans l’autre.
A l’heure actuelle les 2023 sont encore dans les cuves, ils attendent la mise en bouteille des 2022 en juin pour prendre leur place dans les fûts non neufs de chez Olivier Leflaive où Jean-Marie a un peu travaillé. Ce sont donc des élevages longs. « Ça c’est l’avantage d’être tous les deux doubles-actifs avec Corinne, quand tu n’as pas la pression financière et que tu peux te permettre de prendre le temps, ça change tout. Il faut le reconnaître, c’est une chance que nous avons ».
Tout est en levures indigènes, avec des pieds de cuve (sauf le cas du vin de voile), pour le moment aucun vin n’a eu besoin d’être sulfité que ce soit les 2022 ou les 2023. Le rouge 2022 verra probablement 10mg à la mise, mais ce sera décidé en fonction des analyses au labo.
Les levures du savagnin sous voile ont été sélectionnées avec l’INRA où Jean-Marie a ses entrées puisqu’il y travaille. Mais en faisant des essais sur des petites dames-jeannes on se rend compte que le savagnin même en Auvergne fait spontanément du voile !
Tout est embouteillé avec vide d’air, bouchons liège de qualité, dans l’optique d’une bonne garde.
Les 2022 sur fût
Tout est là !
228L de blanc, 300L de rouge et un fût de vin jaune qui sera mis en bouteille dans 2-3ans probablement (non goûté car difficile de toucher à un vin de voile en cours d’élevage). Il devrait y avoir le double de bouteilles en 2023 et on espère le triple en 2024.
Pas vraiment de volatile à l’analyse, pourtant le vigneron n’y est pas complètement hostile lorsqu’elle s’intègre bien dans l’équilibre du vin.
Résonance Savagnin 2022 : couleur or pâle, un nez un peu sur la retenue en l’état, il ne laisse pas présager d’une telle bouche. L’attaque est énergique, très bien équilibrée entre une matière dense, surtout pour d’aussi jeunes vignes, et une acidité élevée. Les 14% d’alcool ne se sentent que par le volume et l’intensité pendant que le pH très bas (2,9 en 2022 ! il y aura environ 3,1 en 2023) équilibre le vin, le porte très loin, sur une finale saline très longue. Le profil rappelle clairement de beaux savagnins ouillés du Jura, comme les Notes bleues par exemple. C’est parfaitement propre. Déjà un des plus jolis blancs d’Auvergne dès le premier millésime. Bien sûr c’est un vin de gastronomie, qui avec de telles « mensurations » n’est probablement pas fait pour tout le monde. Il faut clairement aimer la tension. Mais l’élevage long l’a quand même bien patiné. J’ai hâte de le revoir avec quelques années et aussi de voir le 2023.
Magnétique Pinot noir 2022 : un peu le contraire du précédent, un pinot clair en couleur, léger (entre 12,5 et 13%), acidulé, aux tannins souples, qui n’est pas maigre pour autant, mais très digeste, sur la griotte, la groseille, avec aussi une note fumée bien présente, typique des 2022 apparemment puisqu’on retrouve la même chez l’Arbre Blanc sur ce millésime-là. Pour le moment les deux s’équilibrent bien. Il va être important que le fumé ne prenne pas trop les devants par rapport au fruit je pense. Un pinot élégant, frais, qui devrait s’aborder facilement en jeunesse.
Un grand merci à Jean-Marie pour la visite. Je venais au départ pour la curiosité de goûter les premiers savagnins d’Auvergne, et force est de constater que c’est une vraie réussite. Le pinot est lui aussi très intéressant sur cette très belle parcelle parfaitement « jardinée ». Mais le savagnin par son originalité, et surtout les pH qu’il peut donner aux vins tout en gardant volume et longueur m’a semblé ce jour-là la meilleure réponse au réchauffement climatique qui est le grand problème des blancs d’Auvergne à l’heure actuelle.
Le savagnin : l’avenir de l’Auvergne ? Et pourquoi pas ? Il me semble en tout cas bien mieux adapté que le chardonnay !