Visite au domaine Elémentaires à Pont-du-Château
Elémentaires - Landry Boudot (Pont-du-Château)
En allant visiter Elémentaires, je me retrouvai face à une nouvelle problématique du néo-vigneron auvergnat : comment trouver des vignes ? En effet, le marché est complètement saturé, la liste d’attente de la Safer est longue comme un bras, les vignerons qui arrivent à l’âge de la retraite ont déjà retrouvé preneurs, certains coopérateurs préfèrent revendre à des céréaliers. Même le fermage est très compliqué… Il reste la solution de planter des vignes mais il faut avoir les reins solides entre le prix du défrichage, des plantations et des trois ans d’attente minimum pour les premières vendanges. Pour beaucoup, la seule solution c’est le négoce.
Landry s’est installé en Auvergne en juin 2023. Après un poste de caviste sur Lyon et un BTS viti-oeno en Bourgogne, il trouve un stage chez Jean-Marc Pillot. Il passe ensuite 3 ans chez Zind-Humbrecht, où il apprend beaucoup à la vigne comme à la cave, notamment avec le chef de culture, alexandre Guth, expert, entre autres, de la biodynamie. Il tire de là son exigence, et sa passion des grands vins blancs. Au fil des rencontres sur des salons, il trouve des vignerons prêts à lui vendre un peu de raisins bio pour commencer. Il trouve ensuite un bout de hangar en location à Pont-du-Château, petit mais parfaitement équipé, idéal en attendant de trouver des vignes et de s’installer à côté.
Les Vins
Uniquement des 2023. Embouteillage prévu dans 2 mois, début avril, pour toutes les cuvées normalement. Tous les raisins sont bio. Deux cuvées de blanc ont vu une pointe de SO2, tout le reste est sans intrants mais parfaitement propre. Il y aura peut-être 10mg de SO2 à la mise en bouteille, mais à voir selon les cuvées et s’il y a possibilité ou non de faire le vide d’air à la mise. Landry a parfaitement conscience que sur un premier millésime il sera attendu au tournant, aucune déviance ne sera tolérée.
Les bouchons et les bouteilles ont déjà été commandés. « Contrairement à ce que l’on pense souvent, la majorité des problèmes ne provient pas des bouchons mais du verre. C’est souvent que lorsqu’on commande des bouteilles avec un goulot de 19mm on se retrouve avec du 19,8 ou 19,9mm, si tu as un bouchon 24mm c’est foutu, il faut du 25 voire du 26, et encore si le diamètre du goulot est le même tout du long ! Là le fournisseur me garantit le diamètre d’ouverture. Pour le bouchon ce qui est important, c’est la largeur et pas la longueur. »
1 Mutinerie (1 cuve 430L et 2 fûts)
- 100% syrah sur cuve fibre. Jeunes vignes sur Chiroubles à 450m d’altitude. Vendangé début octobre. 11%. Egrappé. 7j macération : un nez très marqué syrah, lardé, violette, poivre, anchois, bouche juteuse, tannins souples, frais, facile, quand même une bonne matière et de la texture pour un vin en cuve à 11%, délicieux.
- le même sur un fût de 10ans Radoux : nez plus discret, ça syrahte moins, belle rondeur en bouche avec une finale qui garde une bonne allonge.
- le même fût des Hospices de 3 vins : boisé un peu marqué, encore plus de rondeur, celui-ci pinote clairement en l’état.
- assemblage des trois : au départ un nez discret, pas de boisé ressenti, la bouche est ronde, facile, aux tannins souples. Regoûté après une bonne heure d’aération, le nez rappelle la cuve, très syrah, la bouche explose de poivre, de lardé, de violette, elle garde une certaine rondeur à l’attaque et une allonge saline en finale. Très joli.
2 La chasse au chagrin (1 cuve)
- 100% grenache du Gard du domaine du petit oratoire en biodynamie. 60% jeunes vignes sur sablo-limoneux et 40% de VV sur loess. 12,5%. Travail en mille-feuilles : les couches de VV sont grappes entières, les jeunes vignes foulées. Pendant 13jours 15min de remontage en tout et pas de pigeage. Elevage cuve inox : grenache clair en couleur, léger, souple, jus de fruit, pivoine, fraise, grenadine, à peine amylique mais ça a plutôt tendance à s’estomper, très juteux et facile à boire, parfaitement propre. Le style me rappelle un Magnon 2022 bu la veille par exemple.
3 Monières (1cuve)
- 100% gamay sur Chiroubles cru Javernand sur granit rose, exposition est, donc parcelle assez fraîche comme tous les raisins choisis par Landry. 60% de VV et 40% jeunes vignes. 12,7%. 1 seule cuve car 100 caisses : « c’est ce que peut contenir un camion frigorifique, tout simplement ». Comme le précédent, millefeuilles de 6 couches pendant 15jours avec grappes entières sur les VV. Un gamay sérieux, un peu fermé au nez au départ, bouche avec un joli fruité mais surtout un fond graphite intéressant, finale sur la tension, belle allonge, encore un peu serrée mais noble. Regoûté après les blancs, le nez a gagné en fruit, très ouvert, très nette, finale précise toujours sur ce fond graphite. Très joli mais il va probablement demander du temps par rapport aux deux premiers.
4 L’étreinte (2 fûts)
- 100% pinot gris sur Niedermorschwihr, sous le Sommerberg, sur un fût de 7 vins, 11,8%. Un pinot gris assez rond, floral, avec un léger beurré, pas trop haut en alcool ce qui le laisse digeste, pas une grosse acidité, mais la finale a une jolie salinité.
- le même avec un bâtonnage (pH aussi autour des 3,19 avec une acidité autour de 4gr/L H2SO4). Plus citronné, plus tendu, marqué réduction sur lies un peu grillé brioché, petits amers, plus à mon goût.
5 Pluie battante (3 fûts)
- 100% chardonnay sur Chiroubles (granit). 11,6%. pH 3,52. Acidité 5,5gr H2SO4. Volatile 0,17gr H2SO4. Un peu réducteur au départ, bouche assez ronde, qui manque un peu de tension.
- le même sur un autre fût, élevé en partie sur lies de syrah. Plus de gras mais aussi une attaque un peu plus nerveuse, impression peut-être faussée de vinosité.
- 3eme fût moitié chardonnay moitié pinot gris, avec beaucoup de bourbes de pinot gris. Plus réduit, mais aussi plus vif, garde quand même du gras, amers en finale qui donnent de l’allonge.
- Assemblage final. Un assemblage utile, qui accentue les qualités et gomme un peu les défauts. Le nez est discret mais moins réduit, la bouche a réussi à garder une bonne acidité sans perdre en texture et rondeur.
6 Second souffle (4 fûts)
- chenin d’Anjou (+ quelques grappes de sauvignon) à Chanzeaux vers Rablay-sur-Layon, comme tous les blancs pressé grappes entières, grosse oxygénation des moûts avec le pressoir utilisé. Assemblage des fûts avec 1h45 d’ouverture. Nez un peu fermé, superbe bouche tendue, saline, à peine autolyse, citron confit, petite volatile qui donne du peps, rappelle clairement le style Labet, Brétèches, Grandes vignes etc…
- le même juste au moment de l’assemblage. Etonnamment encore plus ouvert et plus éclatant, juste une pointe de gaz. Délicieux. « C’est plutôt bon signe qu’il se referme à l’ouverture. Plutôt que de s’oxyder, il se protège en se refermant sur lui-même, tant mieux ! »
7 Superstition
(Macération 1 amphore terre cuite 600L, fabriquée en Toscane, parois épaisses, mais quand même très poreuse, surtout dans le hangar un peu sec)
- 40% pinot gris avec 4 semaines ½ de macération + 50% sauvignon d’Anjou et pinot gris ajoutés au bout d’une semaine. Couleur plus saumonée qu’orangée, joli nez fruits exotiques, frangipane. La bouche est élégante pas très tannique, impression d’une macération légère, très bon.
- le même avec 2h30 d’ouverture. Très propre aussi, pas de trace d’oxydation.
Pour un premier millésime, les vins sont impressionnants ! Tout semble qualitatif, parfaitement maîtrisé, sans aucune déviance. J’en viens à me poser la question : est-il plus simple de faire des grands vins avec du négoce d’un peu partout en France ou avec ses propres vignes en Auvergne lorsqu’on débute ? C’est une vraie question, dont nous aurons la réponse lorsque Landry vinifiera des Côtes d’Auvergne. Souhaitons-lui bonne chance pour la suite…