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La Cave du Théâtre
La Cave du Théâtre
14 mars 2025

Soirées A la recherche de l'umami (14/02 et 14/03)

 

Soirées A la recherche de l'umami

 

 

 

La conférence de Gabriel Lepousez, docteur en neurobiologie et membre de l’Institut Pasteur, en février 2022, a révolutionné le monde de la dégustation. Cette dernière est disponible ici : https://www.larvf.com/qu-est-ce-que-la-salinite-dans-le-vin,4781056.asp. Partant du fait qu’il n’y a pas de sel/sodium dans le vin (ou en tout cas pas à un seuil détectable par notre salive), ni d'iode (sauf bromophénol en cas de défaut) ce que nous décrivons comme de la salinité, est en fait autre chose : de l’umami. Ce qui signifie que cette salinité ne provient pas du sol, que ce n’est pas une forme de « minéralité » puisée par la plante, mais qu’elle provient plutôt de méthodes de vinification.

 


A voir aussi : Arte – Les Pouvoirs secrets du goût, sur le lien entre les saveurs et l'évolution de l'espèce.

 

 

L’umami c’est la 5e saveur (après acide, amer, salé, sucré), démontrée dans les années 1990 en France, mais bien avant au Japon. On le traduit souvent par « savoureux », c’est une sensation qui se produit plutôt en fin de bouche, une sorte de rondeur grasse et saline, persistante, enveloppante (alors que le sel est asséchant) qui fait saliver et donne envie d’y revenir. Ce sont ces trois pôles que nous avons cherché dans les fins de bouche des vins (enveloppant-salin-salivant).

 

 

L’umami provient des acides aminés, que l’on trouve majoritairement dans les protéines. C’est principalement le glutamate (dont on enrichit aujourd’hui de nombreux aliments…), mais aussi les nucléotides et l’acide succinique.

 

On trouve l’umami dans des composés riches en protéines, mais pour cela il faut « casser les briques de protéines », ce qui va être le cas dès qu’il y a maturation, fermentation… Ce sont donc les fromages affinés (vieux comté, vieux parmesan), les viandes et charcuteries type vieux jambon cru, les bouillons qui mijotent longtemps que ce soit à base de viande ou poisson, la sauce soja qui est fermentée… On en trouve aussi dans le lait maternel, d’où le côté épais et appétant.

 

 

 

 

L'umami dans le vin

 

Dans le vin, pour qu’il y ait de l’umami il faut :
- Des levures : autolyse des lies, en cuves, en fûts ou même en bouteille (« les méthodes champenoises »).
- Le déficit d’azote des sols pauvres (granits…) entraîne des fermentations longues lors desquelles les levures vont fabriquer de l’acide succinique.

 

 

 

L’umami fonctionne par synergie : il y a un coefficient multiplicateur s’il y a à la fois des nucléotides et du glutamate. De même un vin umami + un met umami (champagne et huître par exemple) fait synergie.

 

Interrogé sur le seuil de perception de l'umami, Gabriel Lepousez nous a donné les chiffres suivants : 50-100mg/L pour le glutamate dans l'eau et 0,3g/L pour le succinique dans l'eau. Or certaines boissons dépassent largement ce seuil, montant à plus de 200mg/L en glutamate et 2g/L en succinique. Ce sont en premier les sakés, puis les champagnes, puis les bières et enfin les vins non effervescents. Mais le chercheur nous a bien alerté sur le fait que nous aurons une perception bien plus importante si nous avons un vin avec un peu d'umami, un peu d'acide succinique voire un peu de nucléotides que si nous avions uniquement du glutamate en grande quantité.

 

Enfin, il faut savoir que le seuil de sensibilité entre 2 personnes est assez faible, contrairement à l’amertume ou à l’odorat par exemple. "L’umami est bien plus universel" selon Gabriel Lepousez.

 

 

 

Soirée Umami n°1

 

1 Alessandra Divella (Lombardie), Blanc de Blancs Spumante Dosaggio Zero 2019 (100% chardonnay) : Couleur déjà dorée, nez de fruits jaunes et fruits secs, petite touche d’oxydation ménagée, encore que ce soit léger pour un vin de Divella qui en plus de liqueur de tirage contient quelques fûts sous voile (façon Selosse). La bouche est magnifique, mûre, pourtant non dosée, avec du volume, des bulles fines et une sensation très umami en finale, de loin plus que tous les autres vins. Accord parfait avec un vieux parmesan.

2 Nanclares y Prieto (Galice), Rias Baixas Dandelion 2023 (100% albarino) : une robe claire, un nez sur la pêche, voire même ananas avec l’ouverture, bouche fraîche et tendue, plus sur les agrumes, on sent l’élevage sur lies à la texture mais aussi à la finale où le caractère umami est bien présent et fait saliver.

3 Jérôme Bretaudeau, Muscadet Gaïa 2022 (100% melon de bourgogne) : couleur un peu plus dorée, nez qui au départ fait un peu chardonnay en autolyse avec une touche allumette. La bouche est à la fois énergique et avec un beau volume, plus de gras que dans le vin précédent, on sent la malo, elle se retend sur la fin avec une sensation saline/umami présente, peut-être un peu moins que sur le Nanclares, mais peut-être plus enrobée par le gras du vin.

4 Kinryo, Saké Junmai Ginjo Setouchi Olive 2021 : un saké fruité, muscaté avec ce type de levures ramassées sur des oliviers. La bouche est presque huileuse derrière les vins, un peu de sucre, très peu d’acidité, les 15% d’alcool se sentent bien en comparaison. Il y  a la sensation enveloppante mais pas forcément la salivation ni le côté appétant ici.

5 Sérol, Côte Roannaise Pedrizière 2023 (100% gamay) : Couleur grenat, légèrement violette sur les bords. Nez plein de fruits mais aussi de poivre et de violette. La bouche est légère en alcool, fruitée, florale, poivrée, avec une vraie sensation terroir dans le fond, belle allonge saline/umami, un peu moins que sur les blancs mais probablement le plus marqué des rouges. Très bon accord avec un vieux jambon corse.

6 Henri Chauvet, Vie Ordinaire pinot noir (à Boudes) 2022 : un pinot clair et très trouble, pointe de gaz à l’ouverture, très beau nez très fraise écrasée, pivoine, pot-pourri, bouche légère en alcool, pas de tannins, beaucoup de fruit, éclatante et évidente, par contre le côté umami n’est pas vraiment présent. Nous l'avions déjà bien senti sur ses gamays du coteau volcanique, surtout Abrupts 2022, je voulais savoir ce qu’il en était du pinot noir… Comme quoi, certains cépages semblent peut-être plus propices.

7 Abbatucci, Faustine 2023 (Ajaccio) : (100% sciaccarellu sur granit) Couleur claire, nez de grenadine, fraise écrasée, orangette, bouche avec beaucoup de gourmandise, un peu confiturée, peu de tannins, les 15% ne se sentent pas. Par contre pas vraiment d’umami sur cette bouteille, nous avions déjà eu par le passé des sensations de salinité sur les vins du domaine que ce soit sur les vignes pulvérisées à l’eau de mer ou non.

8 David Reynaud, Cornas Rebelle 2021 : (100% syrah) une syrah sur granit colorée, au nez classique, pur, de violette, lardé, fruits noirs, olives. Bouche en fraîcheur (12,5%) et en finesse, noble et élégante, avec une finale où la sensation saline/umami est bien présente.

9 Barbeito, Madère Boal Reserva 5ans (100% boal) : un jeune Madère parfaitement réalisé, avec un bel équilibre entre sucrosité et acidité, un peu d’oxydatif mais aussi du fruit, gourmand, sans être lourd, la finale est très clairement umami. Accord parfait avec une vieille mimolette.

 

 

Soirée umami n°2

 

1 Divella (Lombardie), Blanc de Noirs Spumante Dosaggio zero 2017 (100% pinot noir. 48 mois sur lattes) : Un blanc de noirs sans austérité, à la matière mûre, bulle fine, avec une légère oxydation ménagée mais pas si poussée que ça, surtout très umami sur la finale. Ca commence bien. Toujours un accord réussi sur le parmesan.

2 Phelan Farm (Californie), Brij Albarino 2023 Santa Barbara County (100% albarino) : (domaine conseillé par Rajat Parr, achat de raisins en biodynamie sur cette cuvée. Elevage sur lies) Couleur or et trouble, nez un peu nature, fermentaire, pomme, levure, citron confit. Très belle bouche surtout, qui attaque très droite, citronnée, précise, aucun exotisme pour un albarino, elle finit très salivante, le côté enveloppant arrive sur la fin de bouche, c'est très appétant. Clairement en plein dans le thème pour tout le monde.

3 Tolpuddle (Tasmanie), Coal River valley chardonnay 2022 : (sols silice et grès)  chardonnay travaillé sur lies avec un tiers de fûts neufs, très bourguignon dans l'esprit, très porté allumette et autolyse à l'ouverture. Bouche fraîche, elle acidité, toujours ce côté grillé des lies, léger beurré en se réchauffant, c'est long et salivant, encore jeune, un peu plus soufré que le précédent. Il y a de l'umami mais un peu moins.

4 Sérol, Côte Roannaise Pedrizière 2023 (100% gamay) : Couleur grenat, légèrement violette sur les bords. Nez plein de fruits mais aussi de poivre et de violette. La bouche est légère en alcool, fruitée, florale, poivrée, avec une vraie sensation terroir dans le fond, belle allonge saline/umami, un peu moins que sur les blancs mais le plus marqué des rouges avec Piedrasassi. Très bon accord avec un vieux jambon corse.

5 Piedrasassi, Santa Barbara County syrah 2021 : (domaine de Rajat Parr et Sashi Moorman) une syrah qui n'est pas sur granit ici, mais travaillée sur la fraîcheur, sulfitée à la mise uniquement, sans bois neuf, à la couleur sombre, au nez très syrah de lard fumé, d'olives noires voire d'anchois. Une bouche fraîche, avec une belle acidité, pas très tannique, à la limite de la sous-maturité pour certains, mais qui semble très saline et umami, poivrée aussi, très salivante, bien marquée par les olives noires. Encore plus umami que le Cornas de David Reynaud.

6 Sant’Armettu, Vin de Corse Sartène L’Ermite 2022 (100% sciaccarellu) :  (granit. 9 mois foudres) Couleur très claire, nez de grenadine, fraise, pivoine, beaucoup d'épices, badiane, bouche assez ronde, petite sensation de sucrosité, peu de tannins, très gourmande, les 15% ne se sentent pas du tout, beaucoup de charme, mais pas très umami.

7 Brasserie Mosaïque, Country roads take me home 2022 : (Macération carbonique de carignan en grappes entières puis la bière est ajouté pendant la carbo. 8 mois de fermentation et macération en tout + 3 mois de seconde fermentation en bouteille + 1an en bouteille) Couleur rose trouble, nez un peu réduit à l'ouverture, puis sur le pamplemousse rose, groseille, pivoine, cerise aigre. Bouche avec beaucoup de peps, très légère, 3%, sans manquer de corps, acidulée, légèrement aigre, la finale est bien salivante. Si le style très percutant a beaucoup fait parler, le finale est clairement umami.

8 Arcana, Semillon 2021 Valle del Itata :  (premier millésime avec de l'oxydatif) Un sémillon original, qui se goûte un peu comme un Fino sur ce millésime, petite touche oxydative légère, floral, légèrement miellé, frais, avec une certaine salinité. Un peu moins umami que le suivant ou que le Phelan Farm cependant.

9 Marius Perron, Château-Chalon Vigne aux dames 1978 : une légende du vin jaune, couleur or profond, nez pas si oxydatif que ça. Comme parfois sur les vins jaunes la dimension noix des premières années s'est fondue dans des notes complexes de safran, d'abricot sec, d'épices, de miel, de cire, de café, d'orange confite, c'est très élégant pour un vin jaune, encore fringuant. A l'ouverture on peut lui reprocher un petit manque d'intensité, le lendemain à température plus élevée il a retrouvé sa fougue. Pour le coup, l'umami est bien présent en finale, salin et très enveloppant. Une grande bouteille. Merci Michel !

Bonus : Terrebrune Bandol blanc 2019 joli nez aromatique, pêche, abricot, buis, miel, la bouche n'est pas lourde, en finesse pour un Bandol blanc, mais sans avoir l'allonge saline des précédents. Château Caillou Sauternes cuvée Prestige 2002 joli liquoreux pas trop pour finir, Brasserie Mosaïque Down to the River Montagne 2023 très belle bière aux notes de verveine, chartreuse, épices de montagne avec beaucoup de fraîcheur et de peps, mais n'a pas semblé très umami..

 

 

 

Conclusion 

 

Les vins effervescents étaient clairement marqués par l’umami, les blancs à peine moins. C’était moins évident sur certains rouges.

La soirée a permis de poser de nombreuses questions. Les vins blancs proches de la mer ou de l’océan toujours décrits comme salins le sont-ils vraiment ou est-ce seulement un raccourci de l’esprit ? Est-ce qu’ils sont souvent travaillés sur lies ? Travaillés dans le but de s’accorder avec des fruits de mer riches en umami ?

Et inversement, peut-on considérer que d’autres données renforcent la sensation umami ? Est-ce que la barrique trop présente ou la surmaturité peuvent "couper" la sensation umami ? Est-ce que l’acide tartrique élevé qui fait également saliver peut créer une sorte de confusion avec l’umami ? Est-ce que la fraîcheur des vins en climat méditerranéen/océanique peut jouer aussi ? Certains cépages sont-ils plus propices (la syrah avec son côté olive noir voir anchois, la petite arvine avec sa dimension clairement salée pour le coup ?)

Par exemple les Manzanilla de Sanlucar, toujours décrites comme plus salines que les Fino de Jerez ou ceux de Montilla-Moriles (eux en cépage PX) le sont-elles réellement ? Est-ce uniquement de l’umami ? Un climat plus frais ? Une façon différente de travailler les vinifications ? Ou un combo cépage/acidité/alcool plus bas…. ?

 

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